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Jacky Joannès et moi-même étions récemment invités dans l'émission Jazz Time de notre ami Gérard Jacquemin sur Radio Déclic.
Voici, dans son intégralité, cet entretien dans lequel nous expliquons la naissance et la conception de notre exposition commune La Part des Anches, ses 50 portraits et les extraits du roman que j'ai écrit à cette occasion. Celle-ci se tient à la médiatèque Gérard Thirion de Laxou, en association avec Nancy Jazz Pulsations.
Voici par ailleurs un extrait vidéo de cet entretien.
Enfin, cerise sur le gâteau, La part des anches, c'est aussi un livre réplication de l'exposition avec par ailleurs le texte intégral de mon roman. Ce que nous expliquons d'ailleurs dans l'entretien avec Gérard Jacquemin. Vous pouvez le commander ICI.
Samedi 18 octobre, 18 heures. La fin approche et c’est le moment d’un premier bilan devant la presse. Claude-Jean Antoine alias Tito et Patrick Kader, respectivement président et directeur de Nancy Jazz Pulsations, partagent leurs impressions ainsi que quelques chiffres qu’il n’est pas inutile de rappeler ici.
NJP : 165 concerts dont plus de la moitié dans les 7 salles de Nancy ; une fréquentation globale de 90000 spectateurs ; 30000 entrées payantes (parce que bon nombre de concerts sont gratuits), soit une légère progression par rapport à l’édition 2013, ce n’est pas négligeable ; des apéros jazz ; Pépinière en fête ; des actions culturelles : les quartiers musiques, les concerts jeune public, Jazz de Cœur (en hôpital), Jazz Inside (au Centre Pénitentiaire), des ateliers d’éveil musical, des expositions photo, un ciné jazz ; des captations de concerts ; 200 personnes chargées d’assurer le déroulement du festival... On le voit, NJP va au-delà du simple festival, c’est une dynamique à la fois horizontale (parce qu’elle s’étend sur toute la région) et verticale parce qu’elle couvre un grand nombre de styles musicaux et déploie les musiques par de nombreux moyens, pédagogiques notamment.
Du côté musical proprement dit, Patrick Kader a rappelé les temps forts et quelques uns de ses coups de cœur : Grégory Porter, Sylvain Luc & Stefano Di Battista, Thomas de Pourquery, Christine & The Queens, Otis Taylor, Guillaume Perret et, il le souligne, Electro Deluxe, grosse sensation de l’édition 2014, ce que je ne contredirai pas, on le sait ! Sans oublier ceux qui vont encore se produire, comme Gilberto Gil et Ibrahim Maalouf.
C’est un peu tout cela, NJP : il ne faut surtout pas s’arrêter au mot « jazz », qui reste très présent, en particulier à travers la programmation du Théâtre de la Manufacture et de la Salle Poirel (alors qu’il est de bon ton de pleurer sur un passé idéalisé et de déplorer la disparition du jazz) ; mais comprendre que cette manifestation cherche à attirer des publics diversifiés et, peut-être, se présenter pour eux comme l’occasion de belles découvertes. En 2014, comme en 2013 et en 2015, NJP suscite des enthousiasmes et des regrets, des sourires et des grimaces, mais joue pleinement son rôle. C’est un événement indispensable à l’automne de Nancy et ses environs, pour ne pas dire la Lorraine.
Et puisqu’on évoque la Lorraine, voici une habile transition au moment d’entrer sous le Chapiteau pour la dernière soirée.
Un groupe lorrain pour commencer, voilà finalement une bonne idée et c’est avec plaisir qu’on découvre un Mr Yaz en excellente forme. Un set ramassé (environ 45 minutes), une mise en place impeccable (le son est parfait), pour une musique mêlant funk, soul music et un rock très carré, le tout habilement saupoudré de quelques effets électroniques. Mais sans effets de manche inutiles, ce qui est à porter au crédit des cinq musiciens. La formation est bien emmenée par son chanteur Yacine El Fath, à l'évidence un adepte de Jamiroquai qui, on peut prendre les paris, a certainement dû être galvanisé par la prestation de James Copley la veille avec Electro Deluxe. Mr Yaz est une parfaite entrée en matière pour une soirée qui s’annonce assez longue ; surtout, la mise en avant de musiciens locaux devant un public nombreux (le Chapiteau est plein à craquer, même les escaliers des gradins sont occupés à 100%) est une pratique hautement recommandable, il faut remercier NJP de ne pas l’avoir oublié.
Ce concert de Mr Yaz est, de plus, pour moi l’occasion de souligner la présence aux claviers de Stéphane Escoms, dont le récent Meeting Point avec son Trio+ est un disque à découvrir. Escoms, qui a travaillé avec Chucho Valdés et Mario Stantchev, y dévoile une personnalité attachante et voyageuse, amoureuse de la mélodie et des rencontres (c'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre ce +). Une autre facette – le versant jazz – d’un musicien qu’on a pu écouter au Chapiteau dans une expression plus binaire avec laquelle il semble très à son aise. Je lui adresse ici un amical salut et lui souhaite bonne route pour ses prochaines aventures !
Mr Yaz
Yacine El Fath (chant), Laurent Pisula (guitare), Stéphane Escoms (claviers), Claire Chookie Jack (basse), Romain Di Loreto (batterie). Album associé : Dancing On The Moon (Mr Yaz - 2014)
Preuve que le nombre ne fait parfois rien à l’affaire. Il est entré seul en scène, avec l’air de celui qui est content de retrouver de vieux amis auxquels il va raconter quelques histoires savoureuses. Des tranches de vie. Avec le sourire. Gilberto Gil, c’est un grand monsieur, un septuagénaire en état de plénitude dont le récent Gilbertos Samba va constituer une partie importante de son répertoire. Ce titre n’est pas vraiment un clin d’œil narcissique, parce qu’il évoque avant tout la musique de son ami Joao Gilberto, même si le prénom commun peut aussi apparaître comme un point de passage entre leurs deux univers. Gil ira de ses propres compositions, dont une en français, un brin désuète, appelée « Touche pas à mon pote », écrite dans les années 80 ; il se fraiera aussi un chemin du côté de la Jamaïque en allant chercher deux compositions de Bob Marley, dont « No Woman No Cry ». Ce qui frappe avant tout pendant les 75 minutes de sa prestation, c’est le sentiment que le temps s’est arrêté et qu’une autre communication est possible, presque d’humain à humain, malgré la foule. La voix de Gilberto Gil reste ferme malgré les années qui ont passé, parfois il se risque à quelques élans vers les aigus, la tête perdue dans des rêves de fraternité. Et puis, le plus fascinant peut-être, ce rythme implacable, ce jeu de guitare sobre mais animé d’une force retenue qui vient vous chatouiller au creux de l’estomac. Celui qui fut Ministre de la Culture du Brésil est un musicien avant tout, habité par son art. Le public, venu en grande partie pour lui, lui réservera un triomphe bien mérité et sera récompensé par un double rappel. Un grand monsieur vient de passer.
C’est après que les choses se sont un peu gâtées… On ne peut pas tout réussir tout le temps, on n’est jamais à l’abri d’une erreur de programmation. Et personne n’en voudra à NJP de s’être un peu pris les pieds dans le tapis du Chapiteau pour une fois… Ce soir de clôture n’était ni le lieu, ni le moment propice au concert du trio suédois Dirty Loops. Coincée entre deux têtes d’affiche dont les musiques disent la géographie du monde, leur prestation fait un peu l’effet d’une dose de crème Chantilly versée dans un grand cru de Bourgogne. Un mélange parfait pour provoquer une indigestion et, en l’occurrence, fortement brouiller l’écoute. Insupportables claviers exhumés des funestes années 80, un chanteur certes techniquement au point mais sans âme, des reprises de ce qu’on peut imaginer de plus kitsch dans la galaxie pop mercantile des années passées et actuelles. On nous laisse entendre qu’il faudrait aborder cette démarche artistique au second degré ; que Jonah Nilsson, Henrik Linder et Aron Mellergårdh sont d’excellents musiciens…Mouais… Ce qui saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, c’est que le brouet est de ceux qui vous forcent à quitter la salle un peu plus tôt que prévu. Ce que j’ai fait, je dois bien l’avouer. Peut-être n’ai-je rien compris ? Peut-être suis-je trop vieux ? Mais tout cela me paraît si conformiste, si inoffensif… si rien.
Je n’aurai donc pas eu l’occasion de revoir Ibrahim Maalouf et ses musiciens interpréter leurs Illusions (ce qu’ils avaient déjà fait au même endroit et presque à la même date l’année dernière). Mais quelques témoins privilégiés m’ont fait comprendre qu’ils avaient passé un bon moment, à peine troublé par un volume sonore trop élevé semble-t-il (c’était aussi le cas en 2013). Et je conclus naturellement ces échos par un ultime portrait signé de mon camarade Jacky Joannès, que je tiens à remercier ici chaleureusement pour ses livraisons de photographies tout aussi quotidiennes que bienvenues. Nous vous invitons lui et moi à retrouver prochainement Nancy Jazz Pulsations 2014 à travers un photo-reportage complet qui sera publié dans notre cher www.citizenjazz.com !
Rendez-vous en octobre 2015, pour la prochaine édition de Nancy Jazz Pulsations.
Je reviendrai sans tarder sur la soirée de clôture de l'édition 2014 de Nancy Jazz Pulsations, ce qui me permettra d'établir un bref bilan chiffré plutôt encourageant. Je dois aussi m'excuser auprès de Guillaume Perret pour n'avoir pu assister à l'Autre Canal au concert de son phénoménal Electric Epic en raison d'un vilain virus qui m'a cloué au lit jeudi, mais d'autres occasions se présenteront, ça ne fait aucun doute. En attendant, mon fidèle complice Jacky Joannès veillait au grain (quoi de plus normal pour un photographe ?) et n'as pas manqué de laisser traîner son objectif dans la salle rouge… Voici deux portraits (Perret partageant l'affiche avec Robert Glasper) qui, peut-être, me feront pardonner mon absence !
Guillaume Perret
Robert Glasper
Mystère de la nature ? Effet secondaire de la venue d'Electro Deluxe au Chapiteau de la Pépinière vendredi soir ? Un combat nocturne et très exsudatoire m'a fait triompher du mal et, bien qu’épuisé comme après un marathon, un constat s'impose à moi : plus de fièvre, plus de douleurs, je suis fin prêt pour vibrer au spectacle que vont offrir pendant 75 minutes sept musiciens dont une longue soirée, la veille à l'Olympia avec le renfort de son décoiffant Big Band et des quatre DJ's de C2C, n'a pas réussi à épuiser les forces.
Mais avant d'évoquer le tsunami provoqué par le septette, je ne peux que partager mon plaisir d'avoir assisté au concert émouvant de la chanteuse Bettye LaVette, qui sait si bien glisser dans sa black music une bonne dose de rock britannique (ainsi son British Rock Songbook paru en 2010). Celle qui a publié en 2012 une autobiographie appelée A Woman Like Me (ce qu'elle n'a pas manqué de rappeler) se présente sur scène en toute simplicité, vêtue de noir. On compare souvent son timbre de voix à celui de Tina Turner : peut-être, mais un peu simpliste tout de même… Sa prestation, humble et imprégnée de soul, semble bien loin des excès de cette dernière (incluant quelques kitscheries). Bettye LaVette joue une carte plus intime et chante comme d'autres vous font des confidences. Les quatre musiciens qui l'entourent expriment une puissance contrôlée, le son - je le souligne - est d'excellente qualité. Le public adopte vite cette grande dame qui sera passée sur scène un peu à la façon d'un ange et en qui couve un feu très humain. Et je garde en tête son interprétation très émouvante de « Isn't It A Pity », magnifique chanson de George Harrison qu'on peut trouver sur l’album légendaire du guitariste All Things Must Pass (pour l’anecdote, il faut savoir que cette chanson faisait partie de celles que les Beatles avaient refusé d’inclure à leur répertoire...). Seul bémol : le public a un peu tardé à faire son entrée au Chapiteau, ce qui a posteriori ressemble à une erreur, d'autant que la vibration de Bettye LaVette constituait un excellent apéritif au grand show qui allait suivre… Nancy, as-tu de l'esprit ? Oui !
Bettye LaVette (chant), Alan Hill (claviers), Brett Lucas (guitare), James Simonson (basse), Darryl Pierce (batterie). Album associé : Thankful 'n Thoughtful (Anti, 2012)
Un des grands moments de Nancy Jazz Pulsations 2014… Mais amusez-vous à interroger celles ou ceux qui voyaient sur scène Electro Deluxe pour la première fois : ils ne douteront pas une seule seconde du fait que James Copley, l’ami américain du groupe, son chanteur charismatique à l’élégance scénique qui ferait de lui un autre James, comme un James Bond de la soul music, est le leader du groupe qui vient de les faire chavirer. Ce en quoi ils auraient parfaitement tort : Electro Deluxe existe depuis treize ans et ses membres fondateurs (tous présents à NJP, bien sûr) ont pour nom Thomas Faure, Gaël Cadoux, Jérémie Coke et Arnaud Renaville. A l’origine orienté vers ce qu’on appelle communément l’électro-jazz, Electro Deluxe a imprimé à son répertoire un virage assez marqué le conduisant à une expression typique de la musique noire américaine des années 60, cette soul music qui n’en finit pas (et ne finira jamais) de vibrer en beaucoup de cœurs. On entend battre les cœurs des maîtres, Otis Redding, James Brown, Stevie Wonder et quelques autres... Pulsations...
Parmi les coupables de cette inflexion, James Copley, bien sûr, rencontré un peu par hasard par nos quatre amis et qui eurent tôt fait de le convaincre de les rejoindre dans leur aventure musicale et de laisser tomber son boulot de l’époque (l’histoire veut qu’après l’avoir entendu chanter, son patron lui aurait vivement conseillé d’arrêter de vendre des T-Shirts pour se consacrer exclusivement à la musique). Copley fera son apparition sur Play, le troisième album publié en 2010 et occupera une place de plus en plus importante au fil des mois, prenant sa part dans le travail de composition et signant de nombreux textes. Un Live In Paris paru en 2012 et retraçant un mémorable concert à l’Alhambra quelques mois plus tôt en administre la preuve. Et de façon d’autant plus éclatante qu'Electro Deluxe se produisait ce soir-là pour la deuxième fois en version Big Band (après un premier essai très concluant au New Morning en juin 2011) : au total 18 musiciens sur scène et un feu d’artifice que les créateurs du groupe aiment reproduire autant que faire se peut.
Mais on ne déplace pas une équipe à 18 aussi facilement qu’une équipe à 7 et c’est dans sa version « réduite », incluant le trompettiste Vincent Payen et le tromboniste Bertrand Luzignant, qu’Electro Deluxe va faire tourner les têtes au chapiteau. James Copley interdit la station assise, il peut compter sur un public rajeuni pour lui obéir et il accomplit l’exploit consistant à faire se lever les spectateurs ayant pris place dans les gradins. Pas une mince affaire... Le spectacle est sans pause – à peine un moment de calme avec « Home » dont les paroles et les évocations parlent beaucoup de son enfance et de son père qui l’emmenait chanter dans les églises quand il était gamin – et d’une efficacité redoutable ; parfois, Copley cède le devant de la scène pour laisser ses camarades exploser, ce qu’ils font avec une maîtrise remarquable. On pourrait être mal à l’aise parce qu’il s’agit d’un véritable show, mais les doutes sont immédiatement évacués : Electro Deluxe est une machine à groove, une impressionnante embarcation dont les capitaines maintiennent le cap avec l’assurance des plus grands. Presque tout le répertoire du dernier disque, Home, sera passé en revue, avant un final associant le très funky « Stayin’ Alive » des Bee Gees (je me permets de souligner le mot funk car on appose trop souvent et par erreur l'étiquette disco à cette période des trois frères Gibb) et « Let’s Go To Work », autre composition phare d’Electro Deluxe (chantée par James Copley et Gaël Faye sur l’album Play).
NJP est emporté par une fièvre on ne peut plus contagieuse, Electro Deluxe vient de lui asséner une sacrée décharge comme il a appris à le faire et en maîtrise les codes secrets. Un grand moment, sans aucun doute (qui sera d’ailleurs souligné par Patrick Kader, directeur du festival, lors de la conférence de presse du lendemain).
Les responsables de NJP peuvent donc se le tenir pour dit : Electro Deluxe doit revenir très vite, et cette fois augmenté de son Big Band, dont les éclats ne sont plus un secret pour personne. Ils n'ont pas le choix et pourront mesurer la capacité de cette équipe hors normes à embraser encore plus - oui, c'est possible - l'espace historique qu'est, malgré sa récente mue, le Chapiteau de la Pépinière. Grand spectacle assuré. Banco ?
James Copley (chant, claviers), Gaël Cadoux (claviers), Thomas Faure (saxophones), Jérémie Coke (basse), Arnaud Renaville (batterie), Vincent Payen (trompette), Bertrand Luzignant (trombone). Disque associé : Home Deluxe Edition (Stardown, 2013)
On va penser que je ne suis pas un type sérieux mais... les personnes que j’ai croisées après le concert de Lee Fields & The Expressions m’ont toutes certifié qu’elles avaient passé un bon moment. Dont acte, je me fais un plaisir de rapporter leurs dires et d'ajouter un autre portrait signé Jacky.
Parce que vous l’avez compris, j’ai vite quitté la salle pour passer un bon moment avec quelques uns des musiciens d’Electro Deluxe tout près du stand merchandising. En particulier en échangeant une poignée d’anecdotes personnelles avec James Copley qui ne se contente pas d’être un showman d’exception mais se présente aussi comme un homme qui peut parler de son enfance et de ses parents avec attendrissement tout comme il vous racontera avec force détails ses choix vestimentaires, d’un chic si britannique qu’on en oublierait presque qu’il est américain ! Un sacré monsieur, que je salue ici bien bas.
Elle avance pieds nus, presque sur la pointe des pieds. Elina Duni est une chanteuse albanaise ayant émigré en Suisse à l’âge de dix ans, mais qui garde de son pays natal, tout près du cœur, bon nombre de chansons qu’elle va interpréter en compagnie de son trio, lui-même originaire de Suisse.
« Au-delà de la montagne », telle est la traduction de Matanë Malit, disque dont Elina Duni va chanter une grande partie des compositions. La chanteuse, qui s’exprime dans un français que beaucoup de nos compatriotes pourraient lui envier, prend le temps d’expliquer au public ce que racontent les chansons. Il est question d’exil, d’hommes qui partent en traversant les montagnes, de femmes qui restent seules. Il est beaucoup question d’amour aussi, mais un amour sublimé, comme dans un conte. On voyage en Albanie bien sûr (au nord comme au sud) ainsi qu’au Kosovo.
Les trois musiciens aux côtés d’Elina Duni sont bien plus que des accompagnateurs : cette formation est un véritable quatuor, très équilibré, qui sait pratiquer la suspension des temps ou la répétition hypnotiques des notes. On se surprend parfois à réaliser que le piano de Collin Vallon est souvent un instrument rythmique tandis que Norbert Pfamatter dessine de nombreux motifs mélodiques avec sa batterie. A l’arrière de la scène, casquette vissée sur la tête, Patrice Moret intériorise beaucoup son jeu, comme s’il était lui-même un des protagonistes des histoires racontées. Ce trio, par instants, n’est pas sans faire penser, par sa façon de scander et de créer la tension, par l'utilisation fréquente des rods, à celui du regretté Esbjörn Svensson, mais dans une coloration plus feutrée.
Elina Duni, très recueillie, vit ses chansons avec intensité, sa voix envoûte et conquiert très vite la salle qui est tombée sous le charme. Comme si chacun d’entre nous touchait du doigt une beauté éternelle, hors de temps et témoin de l’histoire tourmentée d’un peuple qui souffre aujourd'hui encore, au-delà du spectacle de paysages somptueux, au-delà de la montagne.
Un concert moment de grâce, qu’il faut sans attendre prolonger en écoutant Matanë Malit, disque confident et tout aussi magnétique que cette heure enchantée.
Il ne s’en est pas caché : ce concert était pour le saxophoniste Pierrick Pédron le premier du répertoire Kubic’s Cure, du nom de son récent disque consacré à une relecture à sa façon du groupe The Cure, chantre de la Cold Wave emmené depuis la fin des années 70 par le lettré Robert Smith, l’homme au « noir à lèvres ». Pour corser l’affaire, son trio a dû faire appel à un remplaçant à la contrebasse, en l’absence de Thomas Bramerie, titulaire du poste. C’est donc le Suédois Viktor Nyberg qui était chargé de prendre sa place hier soir, un exercice dont il s’est sorti semble-t-il avec le plus grand naturel.
Quand on s’y songe, il faut être culotté pour s’attaquer à une adaptation de ce rock aux mélodies minimalistes et à l’esthétique glacée ! « Pourquoi pas Motorhead, pendant que tu y es ? » lui a d’ailleurs fait remarquer Franck Agulhon, compagnon de route du saxophoniste depuis de nombreuses années. Pierrick Pédron prend des risques : d’abord de heurter une partie du public pas forcément disposée à admettre ce qui, pour certains, serait de l’ordre du blasphème. Comment, faire subir une telle Cure au jazz, non mais vous n’y pensez pas ? Si si, justement Pierrick Pédron y pense et plutôt deux fois qu’une. Ensuite dans la réalisation du concert : tout près de lui, un petit boîtier dont il se sert pour ajouter des effets à son saxophone alto. Il faut savoir se dédoubler, pratiquer le strabisme divergent, un exercice qui peut s'avérer délicat. Et puis le Breton chante et c’est nouveau (sur l’album, c’est Thomas de Pourquery qui était chargé de la mission à trois reprises). On me souffle d’ailleurs dans l’oreillette que Pierrick Pédron pourrait récidiver sur son prochain disque mais chut, je n’ai rien dit.
Les perplexes ont eu tort car le trio est d’une efficacité redoutable : Franck Agulhon est omniprésent et met beaucoup de couleurs dans son jeu, ce musicien-là est un partenaire précieux, doublé d’un homme aux qualités humaines peu courantes ; Viktor Nyberg, faussement impassible, construit à l’arrière une belle charpente, il est plus qu’un substitut. Quant à Pierrick Pédron, il ne demande qu’à s’envoler et souffler un vent à la fois puissant et d’une très grande clarté (le timbre de son alto est d’une précision démoniaque). Ses interventions énergiques ne perdent jamais de vue la trame mélodique des thèmes sur lesquels il improvise et c’est un plaisir de l’entendre glisser un peu de Thelonious Monk au milieu d’une composition de The Cure. Comme ça, mine de rien, histoire de nous rappeler s’il en était besoin que la précédente expérience du trio avait consisté à transfigurer le pianiste sur un album urgent et bluffant (Kubic’s Monk) enregistré en deux ou trois jours. Il faut aussi souligner son extraordinaire chorus sur « A Reflection » : parce qu’il s’agissait pour l’occasion de se substituer à la zorna (une sorte de hautbois oriental à anche double) de Ghamri Boubaker sur le disque. Un sacré défi, relevé haut les anches, tout en modulations et vibrations qui fleuraient bon le Maghreb. Encore un pari réussi. Le trio est revenu pour un rappel au milieu duquel Franck Agulhon aura la part belle : « Just Like Heaven », certains d’entre vous s’en souviennent-ils peut-être ? C’était l’indicatif de l’émission de télévision « Les enfants du rock » au siècle dernier. Un enfant du rock, ce qu’est aussi Pierrick Pédron et qu’il n’a pas manqué de rappeler. Et comme le saxophoniste, sans me prévenir, a tenu à me remercier publiquement d’avoir écrit le texte de présentation destiné à la pochette de Kubic’s Cure, je ne peux que lui rendre la pareille. Merci Pierrick, je ne sais pas si, comme tu l’as dit, je suis un « grand monsieur », mais je suis certain que travailler pour toi est un immense plaisir. Dont acte !
Le Chapiteau de la Pépinière a fait peau neuve : une nouvelle bâche, plus de places debout aussi (au point que les premiers rangs des gradins finissent par être loin de la scène). Ce premier samedi du festival est l’occasion d’une immersion dans l’univers du blues, qui constitue depuis de longues années une tradition du festival. En 2014, c’est une soirée « 3 au lieu de 4 », en raison de l’incident cardiaque dont a été victime Darick Campbell pendant le vol qui le conduisait en France. Pas de Cambell Brothers donc... et forcément, un timing trop serré pour trouver des remplaçants au groupe.
Le public est venu très nombreux, certain de trouver ce qu’il était venu chercher. Il n’est pas question de surprise, mais plutôt d’une célébration à caractère patrimonial ; le blues est entré dans l’histoire, il mérite bien son temps fort et NJP ne l’oublie pas.
Lurrie Bell est un chantre du Chicago Blues, qui est né de l’exode rural lors de la Grande Dépression vers les villes industrialisées au premier rang desquelles Chicago. D’un point de vue formel, il s’est traduit par l’introduction d’instruments comme la guitare électrique, la basse et la batterie au couple traditionnel constitué par la guitare acoustique et l’harmonica. Chez Lurrie Bell, on est dans le plus grand classicisme à cet égard : l’heure de concert est marquée par la forte présence de l’harmoniciste Russell Green, qui vient parfois voler la vedette au leader qui, de son côté, vit son histoire avec une intensité communicative. Le son saturé de l’harmonica, associé à un volume sonore trop élevé et au jeu étonnant d’un batteur plutôt à côté de la plaque, ont un peu gâché la fête proposée par un musicien sincère et généreux. Ces réserves mises à part, Lurrie Bell a tout de même largement mérité sa place en cette soirée festive.
Lurrie Bell
Lurrie Bell (guitare, chant), Russell Green (harmonica), Melvin Smith (basse), Willie Hayes (batterie). Disque associé : Blues In My Soul (Delmark, 2013)
Avec sous le bras le répertoire de son bel album My World Is Gone, Otis Taylor avait de quoi magnétiser le public. Et comme prévu, le colosse du Colorado, personnalité très singulière (cet adepte du banjo a été antiquaire, enseignant, entraîneur cycliste...), dénonciateur des injustices sociales et raciales, musicien charismatique défenseur du peuple amérindien et de la tribu Nakota, a rencontré un franc succès suivi d’un rappel mais... comment dire ? Il faut avoir l’honnêteté d’analyser le concert avec un minimum de lucidité : on ne s’y retrouvait pas dans cette musique, si belle dans sa conception originelle, mais ici totalement défigurée par un groupe où dominaient deux insupportables violonistes (capables du massacre en règle de « Amazing Grace »), dont les instruments électrifiés étaient un supplice pour les oreilles, et ce malgré les contorsions à visée sensuelle de l’une d’entre eux, Anne Harris. Tout comme le furent les solos désincarnés et d’une absolue vacuité de chacun des protagonistes d’un soir. Absence de cerise sur ce gâteau un peu indigeste, Otis Taylor est venu sans son banjo, pourtant son compagnon fétiche, le multi-instrumentiste se cantonnant à une guitare électrique pas toujours bienvenue. Dommage ! Mais on ne peut être au meilleur chaque soir et je m’autorise un conseil : écoutez My World Is Gone, c’est un très beau disque.
Otis Taylor
Otis Taylor (guitare, chant), Taylor Scott (guitare), Todd Edmunds (basse), Josh Kelly (batterie), Anne Harris & xxx (violon électrique). Disque associé : My World Is Gone (Telarc, 2013)
Je vous épargne la titraille éculée façon « Son nom est Personne », « Du blues comme Personne » ou « Tout le monde aime Personne ». Parce que Paul Personne, adepte d’un blues rock efficace depuis une quarantaine d’années, musicien chanteur fidèle à ses convictions, celles des origines de sa carrière (dont le déclencheur serait, selon ses dires, l’album de John Mayall Bluesbreakers with Eric Clapton – on peut comprendre la force d’une telle stimulation, tant ce disque fait partie du patrimoine du blues anglo-saxon) mérite un peu mieux que ces facilités convenues. L’Argenteuillais porte bien ses 65 printemps et c’est entouré d’une jeune garde normande (dont les deux frères Anthony et Nicolas Bellanger à la guitare et à la basse) qu’il est venu jouer sa musique tirée au cordeau, émaillée de joutes de guitares à l’unisson qui doivent beaucoup à des groupes tels que Wishbone Ash ou The Allman Brothers Band (j’ai même cru entendre le solo de Dicky Betts sur « Jessica » de l’album Brothers & Sisters... mais ce n’était qu’une impression fugitive). Un set sans faute, dans l’esprit de son récent et réussi Puzzle 14, qui a démontré s’il en était besoin qu’on peut associer avec beaucoup de naturel la langue française avec une musique d’essence américaine. Surtout, jamais Paul Personne ne tombe dans le piège de la mièvrerie si caractéristique de tant de chanteurs de variétés : il est avant tout un homme du blues et du rock qui défend sans faillir sa cause de toujours. Avant le début du concert, on savait ce qu’allait jouer Paul Personne : il a répondu exactement aux attentes du public avec un grand professionnalisme, à défaut d’une originalité qu’il n’a jamais revendiquée. Efficace, honnête et enthousiaste : c’est un bilan dont beaucoup aimeraient se targuer. Et les deux rappels étaient bien mérités.
Paul Personne
Paul Personne (guitare, chant), Anthony Bellanger (guitare), Nicolas Bellanger (basse), Brice Allanic (batterie). Disque associé : Puzzle 14 (Verycords, 2014)
Post-scriptum
Une double question de ma part :
- quelle est la justification d’un volume sonore aussi élevé tout au long de la soirée ? Si la qualité de l’acoustique du chapiteau est à l’évidence meilleure qu’auparavant, ce qu’il faut souligner, l’excès de décibels, du début à la fin de la soirée, finit par gâcher une partie de la fête...
- certains spectateurs semblent avoir oublié qu’il est interdit de fumer dans les lieux publics, comme l’est le Chapiteau de la Pépinière. Les responsables de la sécurité auraient-ils oublié leur machine à claques ?
Première incursion hier soir dans la nouvelle édition de Nancy Jazz Pulsations. Un double concert dans la belle Salle Poirel. Deux formations, deux ambiances bien différentes...
On commence avec le monde un peu mystérieux du pianiste Craig Taborn et son trio (au sein duquel on ne peut que remarquer l’excellent Gerald Cleaver, d’une justesse et d’une musicalité exceptionnelles). S’appuyant sur le répertoire de l’album Chants, les trois musiciens vont se lancer dans une exploration de l’intime, en sollicitant des influences multiples qui dépassent de très loin le cadre du jazz. Musique souvent hypnotique, volontiers minimaliste voire répétitive, elle est aussi le cadre d’une recherche de trois personnalités qui vont, petit à petit, laisser leurs routes se rejoindre en un final de toute beauté. Il y a beaucoup d’exigence et d’intériorisation dans une telle démarche et on ne peut que souligner la volonté de Craig Taborn de ne pas propager ad libitum la conception d’un jazz trop étriqué dans son exposition thème / chorus / thème. Son caractère cérébral, pour ne pas dire intellectuel, n’est pas de nature à soulever le public, mais plutôt à le questionner. Un pari risqué mais un moment assez fascinant.
Craig Taborn Trio Craig Taborn (piano), Thomas Morgan (contrebasse), Gerald Cleaver (batterie). Disque associé: Chants (ECM, 2013)
Autant la première partie du concert offrait au public le spectacle parfois distant d’une quête introspective, autant le quartet mené par le guitariste Sylvain Luc et le saxophoniste transalpin Stefano Di Battista ne cache pas son caractère extraverti. Il s’agit pour les deux virtuoses de célébrer leur amour du cinéma éternel et des compositeurs de film que sont Ennio Morricone, Nino Rota, Michel Legrand ou encore Anton Karas. Ils alternent, tout comme sur leur récent album Giù La Testa (en français « Baisse la Tête », du film Il était une fois la révolution), ballades acoustiques charmeuses et thèmes marqués au fer d’un jazz funk électrique. On pouvait craindre une course de vitesse ou, dans les instants plus calmes, une tentation crooneuse : même si le traitement de certaines compositions penche parfois du côté du trop joli, le quatuor parvient à déjouer le piège de la démonstration technique, principalement grâce à Sylvain Luc, capable de faire craquer le vernis d’une musique consensuelle à grands coups de canifs électriques et de riffs dissonants. Stefano Di Battista opte comme à son habitude pour une posture très professionnelle et c’est au saxophone alto, sur les thèmes les plus rapides, qu’il délivre le meilleur de son jeu. Et surtout, en appui de ce duo musclé, il faut souligner la présence roborative du jeune prodige au physique poupin Pierre-François Dufour (lui aussi virtuose, de formation classique et bardé de nombreux prix depuis son très jeune âge au point qu’il peut afficher une carte de visite impressionnante), qui assurera une grande partie du spectacle en évoluant à la batterie comme au violoncelle, en toute décontraction. Il aura été, en quelque sorte, l'instant fraîcheur de ce concert très goûté par un public, conquis d'avance et venu nombreux.
Stefano Di Battista & Sylvain Luc 4tet
Stefano Di Battista (saxophones alto et soprano), Sylvain Luc (guitares), Daniele Sorrentino (basse et contrebasse), Pierre-François Dufour (batterie, violoncelle)
Disque associé : Giù la Testa (Just Looking Productions, 2014)
Voilà un peu plus d’une semaine que les feux de l’édition 2013 de Nancy Jazz Pulsations se sont éteints. Avec une fréquentation de 100000 spectateurs, toutes manifestations comprises et un total de 29000 entrées payantes, NJP affiche un bilan correct qui est aussi celui de ses 40 ans, fêtés sous le signe de la Nouvelle-Orléans, berceau du jazz.
Tiens, ce paragraphe ressemble un peu à un communiqué officiel. En fait, c’était juste pour dire que Nancy et sa région ont réussi à bien vibrer au rythme de ces pulsations qui ne sont pas que jazz, loin s’en faut, au prix parfois d’écarts stylistiques très douloureux. Mais l’idée est aussi que le plus grand nombre de spectateurs puisse trouver de quoi puiser dans une offre diversifiée, n’est-ce pas ? Soyons honnêtes toutefois, il arrive que les errements, ici ou là, de la programmation, vous contraignent à subir bien malgré vous de drôles de choses dont on se demande ce qu’elles peuvent bien venir faire là... La palme en revient à la soirée du 14 octobre au Chapiteau de la Pépinière, hétéroclite et frustrante pour tout le monde.
N’empêche : pouvoir se dire qu’en une dizaine de jours, on a pu assister à une dizaine d’excellents concerts, voire de très grands moments, c’est quand même le plus beau compliment qu’on puisse faire aux organisateurs. Après coup, on n’a plus du tout envie de s’irriter contre une savonnette façon Micky Green ou les prestations insipides de Django à la Créole ou de Térez Montcalm, ni même de se souvenir d’une sonorisation parfois insupportable au Chapiteau de la Pépinière. Non, c’est le meilleur qui reste et c’est très bien ainsi.
N’ayant pas le don d’ubiquité, il m’a été impossible d’assister aux quelque 212 concerts qui ont été proposés du 9 au 19 octobre dernier. J’ai beau disposer d’un corps gracile dont la souplesse légendaire est de renommée mondiale, j’ai beau avoir appris à survoler les salles habillé de ma mythique cape bleu marine moulante à la vitesse de l’éclair, j’ai beau bénéficier de la capacité d’écouter attentivement un disque tout en lisant Proust à l’envers en braille pendant que je mitonne une quiche lorraine et que de ma main libre je rédige une chronique pour Citizen Jazz en pensant à la prochaine note de mon blog... eh bien, je le confesse, je me suis vu contraint de choisir, de faire un tri, de me résoudre à déserter une salle dont j’aurais volontiers poussé les portes si j’avais eu le talent de me dédoubler. Tiens, un seul exemple, celui du jeudi 17 octobre : l’Opéra fait salle comble pour accueillir Avishai Cohen et sa formation avec cordes ; en même temps, un des combos les plus captivants de la scène hexagonale, l’Imperial Quartet, vient perturber le Théâtre de la Manufacture en poussant en première ligne deux saxophonistes baroudeurs, juste avant que la même salle ne soit électrisée par les fulgurances du grand Nguyên Lê et ses Songs of Freedom. Je n’ai pas réfléchi très longtemps toutefois : perturbation et électricité, ces deux ingrédients étaient faits pour moi. Il n’empêche... l’alternative, c’est pas malin ! [Notez au passage la citation]
En cet automne 2013, avec la complicité de mon ami photographe Jacky Joannès et de ma rédac’ chef Hélène Collon, je me suis livré pour la première fois à un exercice duquel j’aurai beaucoup appris (vous vous en fichez, mais pas moi) : écrire chaque matin, entre 7 heures et 8 heures, un compte rendu de la soirée de la veille, afin qu’il soit publié dans les meilleurs délais sur Citizen Jazz, imposant parfois à mon pote aux images de déposer ses clichés en pleine nuit dans ma messagerie électronique. Encore vibrant (ou pas) de ce que je venais d’écouter, je me suis efforcé de traduire au mieux ce que j’avais pu ressentir. Alors je vous propose de revenir – si ça vous dit, bien sûr – sur ces heures de musique souvent enthousiasmantes, parfois ennuyeuses, mais toujours à considérer comme le témoignage d’une action forte menée dans une région pas vraiment gâtée depuis des années. C’est aussi, d’une certaine manière, une façon pour moi d’adresser un clin d’œil à Nancy, dont j’aime plus que tout railler la météorologie souvent peu conviviale mais qui, après tout, est une ville où il est assez aisé de passer de très bon moments, bien qu’elle ne soit pas assez géographiquement éloignée à mon goût des vulgarités moranesques... Chacun sa croix !
Voici donc mes Echos des Pulsations, chroniques de NJP 2013
NB : une contrainte personnelle ne m’a pas permis d’assister au concert de Joshua Redman le mercredi 9 octobre à la salle Poirel. C’est mon grand regret de l’année, avivé par les témoignages enthousiastes de ceux qui ont eu la chance d’être présents ce soir-là.
J’ai raconté voici plus de deux ans l’histoire d’une bande magnétique que Xavier Brocker - figure historique du jazz en Lorraine et co-fondateur du festival Nancy Jazz Pulsations, une manifestation qui fête cette année ses 40 ans - m'avait offerte au mois de janvier 2011. Décédé en septembre 2012, Xavier ne verra pas NJP entrer dans sa cinquième décennie, mais je n’oublie pas que le jour où il m’avait confié cette archive très précieuse, il m’avait aussi demandé d’en faire profiter le plus grand monde. Il était ainsi, passionné, intarissable et avide de partager ses passions. Il savait que l’informatique et internet permettaient la circulation rapide de documents, écrits ou sonores, même s'il avait maintenu une distance importante entre ces nouvelles technologies de la communication et lui, qui n'aimait rien tant qu'une page manuscrite. Alors forcément, lorsque j’ai pris possession du cadeau, on imagine bien qu’une fois passé le stade de l’émotion, je lui ai proposé de mettre un jour ou l’autre en ligne l’enregistrement de la légendaire Stanislas Percussive Gavotte qui somnolait tout au long de ces dizaines de mètres de bande depuis un sacré paquet d’années. Cette idée lui plaisait bien.
Stanislas Percussive Gavotte ou quarante-six minutes d’une création dont un extrait (le final) avait été publié en 2009 à l’occasion de la parution de French Connection 1955-1998 (50 ans de jazz en Lorraine), sur le label nancéien Étonnants Messieurs Durand, une compilation historique à laquelle Xavier avait contribué, comme on l’imagine. Mieux qu’une création, ce travail était une commande passée au trompettiste Ivan Jullien (qui avait obtenu en 1971 le Prix Django Reinhardt pour son travail en Big Band) à l’occasion de la première édition de Nancy Jazz Pulsations en 1973. Captée le 14 octobre en fin d'après-midi au Chapiteau de la Pépinière, elle est interprétée par un Big Band où s'entrecroisent les noms de musiciens prestigieux tels qu'Eddie Louis (orgue), John Surman (saxophone soprano), les batteurs André Ceccarelli, Bernard Lubat et Daniel Humair. Sans oublier une dizaine d'autres percussionnistes au rang desquels s'illustre le Quatuor de Percussions de Paris sous la direction de Lucien Lemaire. Une vraie petite folie musicale ! Xavier raconte tout cela avec beaucoup de détails (et de verve) dans son chouette bouquin Le Roman Vrai du Jazz en Lorraine (1917-1991) paru aux Editions de l’Est, ainsi que dans les notes du livret de French Connection (cf. ci-dessous).
Dans ma note de janvier 2011, j’évoquais la possibilité d’un transfert de l’archive sur un support numérique et je laissais entrevoir la collaboration d’un ami pour se charger de ce travail. C’est chose faite : Jean-Pascal Boffo (sur la discographie duquel je reviendrai très vite ici-même) a bien voulu se pencher sur la conversion de l’archive, qu’il m’est aujourd’hui possible de vous proposer à l’écoute.
L’histoire bouscule un peu nos ordres du jour : Xavier est parti, et pour lui rendre hommage, j’ai voulu le faire revivre un peu en l’incluant dans le casting des personnages qui peuplent la fiction que je viens d’écrire à l’occasion de l’exposition Ladies First !, qui verra mon ami Jacky Joannès mettre en scène plus de cinquante musiciennes en action sur ses photographies. Dans cette histoire aux confins du réel et de l'imagination, Xavier offre au narrateur un texte (qu'on peut lire en coda du récit), et ce dernier en profite pour évoquer un précédent cadeau que son ami lui avait fait, cette sacrée bande magnétique. C'est l'occasion pour moi de rappeler ici que le texte est disponible sous la forme d’un livre qu’on peut se procurer (exclusivement) sur internet.
L'exposition Ladies First ! s’inscrit dans le cadre des animations de Nancy Jazz Pulsations. La boucle est ainsi bouclée, même si notre ami nous manque beaucoup... J'espère qu'il sera content de notre travail !
Alors il est temps, maintenant, de vous laisser écouter cette Stanislas Percussive Gavotte qui va pouvoir vivre une seconde vie grâce à la générosité de Xavier et à la contribution décisive de Jean-Pascal. Merci à eux, infiniment.
Stanislas Percussive Gavotte - Nancy Jazz Pulsations, 14 octobre 1973
Ivan Jullien (composition, direction, trompette), Eddie Louiss (orgue électrique), John Surman (saxophone soprano), André Ceccarelli, Bernard Lubat, Daniel Humair, Stewart "Stu" Martin (batteries), Lamine Konte, Louis Moholo (percussions africaines), Lamont Hampton (percussions caribéennes), Franck Raholison (percussions malgaches), Jean-Claude Chazal (timbales, vibraphone), Lucien Lemaire, Gérard Lemaire, Jean-Claude Tavernier (percussions, xylophones).
Xavier Brocker évoque cette soirée de musique pas comme les autres (extrait des notes du livret de French Connection 1955-1998)
"Je vous parle à présent d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas (ne veulent pas ?) connaître.
C’était en 1973. Le 14 octobre en fin d’après-midi. C’était un dimanche, assez beau sous le Chapiteau dressé au cœur du Parc de la Pépinière, à Nancy. C’était la « création », la première audition mondiale et elle est, à ce jour, restée la seule, commandée au compositeur et trompettiste Ivan Jullien pour le premier festival international Nancy Jazz Pulsations.
Nul ne mettrait en doute le fait, évident pendant les très nombreuses années qui s’ensuivirent, que NJP représente un tournant capital dans la grande (et les petites) HISTOIRE du JAZZ en Lorraine. A dater de cette année-là, et comblant tous les vœux de l’équipe initiatrice de l’événement, nul dans la région ne peut mettre en doute sa valeur esthétique ; et d’autre part, personne de sérieux ne pourra nier la capacité du jazz à réunir des foules immenses rassemblant des fervents de tous âges, autour des artistes marquants de cette expression musicale.
Un tournant capital, donc, après quoi plus rien ne serait comme avant, pour le meilleur, certes, mais aussi au prix d’une certaine « institutionnalisation » de cet Art. Certains l’agréeront alors que d’autres, tout aussi sincères, resteront dubitatifs.
Sur une vague « idée » de l’auteur de ces lignes, NJP avait souhaité que la ville de Nancy veuille bien financer une création originale pour grande formation qui évidemment porterait en son intitulé quelque terme évoquant le duché de Lorraine, ce qui, s’agissant du jazz, était déjà une gageure.
Je pensai au terme très XVIIIème siècle de « Gavotte », ce mot renvoyant à la danse solidement rythmée qui est évidemment associée au jazz d’avant 1960.
La chère vieille icône dont l’effigie trône en ces lieux aurait pu « tap-danser » cette gavotte aux accents des meilleurs percussionnistes du Festival, réunis pour cette unique occasion. Telle fut la genèse d’une œuvre que le Festival commanda au créateur et orchestrateur Ivan Jullien qui venait juste d’obtenir pour son travail en « big band » le prix Django Reinhardt de l’Académie de Jazz (Paris, 1971).
Pour ce travail de composition et d’orchestration, Ivan sollicita le formidable Eddie Louiss à l’orgue et préféra se passer d’un contrebassiste qui eut été noyé au sein d’un déchaînement tellurique : les meilleurs batteurs d’Europe, et au-delà, ayant accepté par sympathie pour pareil festival, d’offrir leur contribution.
Seul mélodiste avec Louiss donc, l’anglais John Surman (né en 1944) ici au saxophone soprano, déverse des torrents de lave incandescente.
Dialoguent aux tambours, cymbales, xylophones, timbales, vibraphones, tumbas, djembés et tous autres engins percussifs qu’il vous plaira d’imaginer, des talents aussi variés que les français André Ceccarelli, Daniel Humair ou Bernard Lubat, le New-Yorkais Stu Martin, qui fait ici penser dans ses breaks à Paul Motian, le Sud Africain Louis Moholo, le tout jeune Laurent Hampton, fils du grand tromboniste « Slide » Hampton et encore le Malgache Franck Raholison, le Sénégalais Lamine Konte.
Et nous nous garderons d’omettre les quatre mousquetaires, ici représentatifs de la percussion en musique classique (Salut, John Cage !), à savoir le Quatuor de Percussions de Paris sous la houlette de M. Lucien Lemaire.
Il est temps de redécouvrir ce « truc insensé » ! Chaud devant !. Plus d’un quart de siècle après, il en « swingue » toujours sur son socle, ce bon vieux « Stan » !"
(X.B.)
CODA
Je vous propose d'écouter également l'entretien que Xavier m'avait accordé le 9 septembre 2010 : il m'y racontait NJP 1975 avec beaucoup de verve comme à son habitude.
La 39e édition du festival aura été, selon Patrick Kader son directeur, plutôt réussie, malgré une météo hostile qui a fortement contrarié la tenue de « Pépinière en fête », soumise à de multiples annulations en raison de la pluie. Un malheureux dimanche après-midi entier ouvert au public dans le parc du même nom, celui-là même qui abrite le légendaire Chapiteau. Malgré, aussi, un creux de fréquentation au début de la deuxième semaine. Problème d’ordre économique ? De programmation ? Difficile de répondre, il faudra analyser plus finement le phénomène dans les semaines à venir, mais les organisateurs de NJP ont le sourire en évoquant les 40 ans que le festival fêtera en 2013, du 9 au 19 octobre, avec pour fil rouge la Nouvelle-Orléans. A cette occasion, cette manifestation « qui se veut populaire mais pas populiste » devra probablement recevoir un soutien plus fort des collectivités locales, pour pouvoir accueillir de belles têtes d’affiche mais aussi pour aller dans le sens d’une modération des tarifs.
C’était il y a deux ans, presque jour pour jour, le 10 septembre 2010. Pour parachever la rédaction d’un des textes de l’exposition Portraits Croisés que je devais réaliser avec mon ami Jacky Joannès, j’avais demandé à Xavier Brocker – qui avait fini par devenir lui aussi un ami à force de passions partagées – de m’accorder un entretien. Je voulais qu’il me raconte en détail l’édition 1975 de Nancy Jazz Pulsations, dont il était à l’époque le directeur artistique. 45 minutes passionnées, beaucoup d’anecdotes, une verve inimitable et un incroyable talent pour faire vivre des instants pas comme les autres, à l’époque où les responsables du festival avaient décidé de programmer le JATP (Jazz At The Philarmonic) et son cortège de stars, comme Dizzy Gillespie, sous l’égide du fantasque Norman Granz. Vous pourrez, un peu plus bas, écouter cette passionnante conversation, si vous le souhaitez.
Xavier vient de nous quitter, trahi par son cœur qu’il avait gros comme ça. C’est un personnage, un vrai, qui s’en va. Il laisse un vide énorme autour de lui tant ses amis étaient nombreux. Il avait 73 ans.
Xavier était tombé dans le jazz à l’adolescence, contractant un heureux virus dont, jamais, personne n’aurait pu le vacciner. C’était en 1954, après un concert de Sidney Bechet à la Salle Poirel de Nancy. S’il lui arrivait de jouer du piano ou de la clarinette, il était d’abord une encyclopédie vivante, un boulimique de la connaissance, toujours soucieux de transmettre sa passion au plus grand nombre. Il fut l’un des membres fondateurs de Nancy Jazz Pulsations et son premier directeur artistique. Journaliste à l’Est Républicain, il était aussi l’auteur du Roman vrai du jazz en Lorraine. Retraité hyperactif, on pouvait souvent le retrouver en animateur de conférences passionnées illustrées par des écoutes dont il raffolait, aussi bien pour les jeunes que pour les adultes et qu’il appelait des causeries ; il consacrait aussi une partie de son temps à l’animation d’émissions de radio, dédiées au jazz, forcément. Il avait également pris une part prépondérante à l’élaboration du CD 50 ans de jazz en Lorraine, publié sur le label Etonnants Messieurs Durand. Xavier était un être curieux, toujours prêt à se frotter à de nouvelles découvertes. Il était un grand monsieur, un gourmand de la vie, la musique et le jazz en étaient pour lui le sel vital.
Xavier était un grand seigneur. Alors que j’étais très honoré d’avoir été, à plusieurs reprises, l’invité de son émission, lui se sentait redevable. En témoignage de son amitié, il m’avait fait un somptueux cadeau, en m’offrant l’enregistrement original et intégral de la première création de Nancy Jazz Pulsations en 1973 : la « Stanislas Percussive Gavotte », interprétée par un big band réuni par le trompettiste Ivan Jullien et qui comptait parmi ses membres : Eddie Louis, Jon Surman, André Ceccarelli, Bernard Lubat ou encore Daniel Humair. Je garde précieusement cette bande magnétique, ce trésor, qu’un ami doit prochainement numériser. Il va de soi que chacun d’entre vous pourra bientôt l’écouter ici. C’est ce que voulait Xavier, il voulait partager. Ses désirs seront des ordres.
Il y a quelques jours encore, c’était vendredi dernier, j’avais appelé Xavier, à sa demande. Il voulait m’inviter une fois de plus au micro de « Jazz Galaxies », l’émission hebdomadaire qu’il animait sur une radio locale à Nancy. Lui, tout comme moi, aimait ces petits rendez-vous et leur rituel (je sais, parce qu’il me le disait à chaque fois, qu’il appréciait beaucoup notre complicité ; ayant moi-même pendant plusieurs années animé une émission consacrée au jazz, il savait que j’avais du répondant, il appréciait la tonalité de ce qui devenait une conversation souriante mais à chaque fois exploratrice de nouveautés) : il venait à la maison une heure avant le début de l’émission, je lui préparais un café et nous discutions du programme. Je lui soumettais ensuite une liste de disques qu’il acceptait en toute confiance ; de son côté, il extirpait de son sac un vieux 33 tours ou un CD qu’il avait pioché dans sa volumineuse discothèque (la dernière fois, c’était un disque que lui avait offert Didier Lockwood). Enfin venait l’élaboration du conducteur et son minutage faussement précis, qu’il était de toutes façons incapable de respecter, en bavard impénitent qu’il était, dès lors que le voyant rouge s’allumait. Il goûtait, vraiment, le plaisir de dire le jazz et son amour infini pour cette musique. Il faut l’avoir vu au moins une fois savourer ses propres réflexions pour comprendre la saveur si particulière de son propos. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre dernière émission – c’était le 16 juillet – consacrée à Nancy Jazz Pulsations 2012, n’avait pu nous permettre de diffuser toute la musique programmée quelque temps plus tôt ; il voulait un second épisode, absolument. Malgré sa voix très affaiblie, son enthousiasme au téléphone était intact : il se réjouissait de notre nouveau duo et, toujours curieux, il m’avait demandé de revenir avec, dans mon sac, le disque d’Electro Deluxe Big Band que nous avions écouté six semaines auparavant et qu’il avait beaucoup aimé. Je le vois encore, pestant à l’idée qu’un tel groupe, si chaleureux et fédérateur, ne pût être vite à l’affiche du festival.
Notre rendez-vous était fixé au 24 septembre à 10 heures. Un peu inquiet de la fatigue que j’avais détectée chez lui, je lui avais recommandé la prudence, lui demandant de prendre soin de lui, avant tout...
Cette émission n’aura pas lieu, je garde son programme pour moi, avec le cœur serré. Xavier, reviens ! Je n’arrive pas à croire que tu viens de faire le grand saut.
Je sais que tous ses amis, tous ceux qui le connaissaient le pleurent aujourd’hui. Peut-être que leur peine sera un peu adoucie à l’écoute de sa voix : je vous offre, en sa mémoire, cette causerie qu’il m’avait accordée en toute amitié et dont le souvenir ne s'effacera jamais.
Salut l’ami !
En écoute, l'entretien que Xavier m'avait accordé le 10 septembre 2010 (durée : 44'51). Un enregistrement sans coupures ni montage, avec tous les bruits de fond en provenance de la brasserie où nous nous étions installés.
Dans ce deuxième épisode, on voit se côtoyer des musiciens escortés d’une légende qui peut soit engendrer la déception (Billy Cobham), soit élever la musique vers des sphères méditatives (Charles Lloyd), alors que d’autres vont faire parler leur lumière propre (Stéphane Belmondo, Manuel Rocheman, Mulatu Astatke). D’autres enfin paraissent un peu désuets (China Moses), voire totalement incongrus (Raphael Gualazzi). Mais en définitive, dix jours de de bonnes vibrations à haute dose.
Pour une fois, laissons nos yeux et rien qu'eux partir en promenade rétrospective du côté des scènes automnales de l'édition 2011 de Nancy Jazz Pulsations. L'ami Jacky Joannès a faufilé ses objectifs au plus près de la musique vivante pour nous proposer une petite sélection sous la forme d'une diaporama d'une bonne quarantaine de photographies. Citizen Jazz lui a bien volontiers ouvert ses portes, et c'est un ravissement, même si l'on ne connaît pas sur le bout des doigts la biographie de chacun des artistes qui sont mis en scène. Il suffit de regarder et d'imaginer... ou de se souvenir !
NJP 2011, c’est fini ! Au-delà d’un bilan qui atteste de la vitalité du festival malgré des nuances qu’on doit apporter (si la fréquentation globale, tous lieux et concerts confondus, est en progression, le cru 2011 aura été moins faste au Chapiteau de la Pépinière que son prédécesseur dont on s’aperçoit a posteriori qu’il était exceptionnel), Nancy Jazz Pulsations demeure pour Nancy et la région Lorraine un événement automnal de premier plan.
Pour une fois, je n’abuserai ni des mots, ni même de ce travers dont je me régale : la confection de phrases interminables. Je veux simplement partager avec vous une photographie que je trouve magnifique.
Mon ami Jacky Joannès, en grand chasseur de portraits de musiciens, était l’autre jour au pied de la scène du Chapiteau de la Pépinière, pendant un concert que le saxophoniste Charles Lloyd donnait dans le cadre du festival Nancy Jazz Pulsations.
Et soudain, il a vu ça…
Ah qu'il est beau cet instant fugace durant lequel la silhouette du musicien s’est dessinée, juste par un effet d’éclipse d’un projecteur. C’est admirable. Je ne saurai jamais assez remercier l'ami Jacky pour la joie que peuvent procurer tous ses coups d’œil. Quand un regard plein de lumière nous offre de tels petits miracles visuels, on s’incline et on savoure…
Un final en bouquet de mots pour Nancy Jazz Pulsations, une conclusion où les phrases chahutées par la lecture trépidante de Jacques Bonnafé viennent caresser, irriter, bousculer et chatouiller les sinuosités d’autres paroles, musicales celles-là, nées de l’imagination de Louis Sclavis (clarinette basse, saxophone soprano et piano à pouces). Une heure sans le moindre répit où la tentation surréaliste d’une orange qu’on éponge vient se fracasser le zeste sur la sombre réalité d’un jour d’octobre 1961 du côté du Pont de Neuilly et du temps de Papon, avant que les mots qui s’entrechoquent ne décident d’enfourcher leur bicyclette rouillée pour arpenter les routes du Tour de France aux côtés de vieux héros de Miroir Sprint comme Pierre Brambilla (le visage sculpté à coups de marteau), Raymond Poulidor et sa poupoularité ou Lucien Aimar, roi de la descente. Jean-Pierre Verheggen, Antonin Artaud, Francis Ponge, Jacques Prévert, Ludovic Janvier et bien d’autres agitateurs du verbe comme Antoine Blandin sont convoqués dans ce carrousel un peu étourdissant où les deux artistes se parlent, se poursuivent dans une course effrénée vers la vérité du non sens. Musique des mots, mots mis en musique, exploit sportif aussi par le déferlement des textes, le duo Sclavis-Bonnafé est un havre poétique qui stimule et réveille. Déconcertant ? Non, des concertextes !
Théâtre de la Manufacture – Samedi 15 octobre 2011
En écoute : « Annonce», extrait de Lost On The Way de Louis Sclavis.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Stefano Bollani se reconnaît volontiers comme un musicien chanceux, qui jouit du privilège de vivre de sa passion et se fait un devoir de transmettre sa bonne humeur. Alors merci à lui, mais aussi à ses deux complices danois (Jesper Bodilsen : contrebasse et Morten Lund : batterie), d’avoir réjoui un Théâtre de la Manufacture plein à craquer. Car le pianiste transalpin et ses acolytes ont servi au public une musique évoluant constamment sur le fil ténu de leurs conversations élégantes et espiègles. Que le trio puise dans des compositions originales ou qu’il aille chercher l’inspiration vers Antonio Carlos Jobim, Caetano Veloso ou… Michael Jackson pour une irrésistible version chantée de « Billie Jean », tout est prétexte à de savoureuses déambulations narratives offrant le spectacle d’un parfait équilibre entre les musiciens. La paire danoise, à l’allure faussement austère, n’est pas la dernière à glisser ses facéties dans le jeu du pianiste volontiers taquin, allant jusqu’à mimer du bout des baguettes et d’un claquement de cordes une corrida où l’on ne sait qui joue le rôle du taureau et qui joue celui du matador. Bollani pratique le piano sous tous ses angles : assis, debout, accroupi, à genoux mais toujours dans le plaisir de l’invention. Mais la légèreté des apparences ne dissimule jamais la justesse d’une union entre trois voix qui s’écoutent avec une remarquable attention. Voilà un triangle parfaitement équilatéral : de quoi nous réconcilier avec la géométrie.
Stéphane Belmondo a tout l’air d’un homme heureux ! Son récent The Same As It Never Was Before est le disque de son épanouissement, dont le trompettiste a pu faire aboutir l’idée en associant ses forces à celles de deux papys flingueurs titulaires de cartes de visite qui sont de véritables who’s who de l’histoire jazz américain : le pianiste Kirk Lightsey et le batteur Billy Hart. Sans oublier l’appui précieux du contrebassiste Sylvain Romano, compagnon de route de Belmondo que ce dernier considère comme son autre frère en musique et qui, du haut de sa trentaine, tutoie les deux maîtres du bout des cordes avec une rigoureuse rondeur. Un quartet de choc que l’on retrouve à Nancy dans la pleine lumière de sa réussite et qui, à l’évidence, prend un énorme plaisir à jouer le répertoire de ce disque roboratif. Ouvrant le concert avec « What’s New », dont la version par Ella Fitzgerald remonte à la fin des années 30, Stéphane Belmondo va très vite creuser le sillon de The Same As It Never Was Before : « So We Are », « You And I », « Habiba », « Light Upon Rita », autant de pièces qui deviennent le terrain de jeu d’une sacrée bataille d’amitié entre les musiciens du quartet, parmi lesquels nos deux américains – visiblement réjouis d’être au cœur de l’action – vont se tailler une part de lion ! Le plaisir pris à écouter le disque est ici démultiplié par leur force de frappe qui s’expose à un public plus qu’enthousiaste. Ainsi entouré, Stéphane Belmondo peut libérer son jeu – volubile et virevoltant - sans la moindre entrave et toucher du doigt ses rêves de toujours. Être le principe actif d’une création musicale vivante et constamment sur le fil de cet implacable rasoir qu’est la prise de risque en scène. Ses artificiers septuagénaires, tous sourires dehors, lui ont fourni une occasion très précieuse de vivre des instants rares et intenses. Comme toujours, ceux-ci ont semblé bien trop courts. On en redemande !
Théâtre de la Manufacture – Samedi 15 octobre 2011
En écoute : « So We Are», extrait de The Same As It Never Was Before de Stéphane Belmondo.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Des places assises en plus grand nombre, un vrai soin apporté à la lumière, un son plutôt meilleur qu’à l’habitude malgré quelques approximations (comme au début du concert de Chucho Valdès), voilà une série d’améliorations qui est à souligner. Le Chapiteau de la Pépinière, lieu emblématique du Festival, évolue tranquillement, au rythme de la déambulation des spectateurs en quête d’un verre de bière ou d’un paquet de cacahuètes grillées vendues à prix d’or ; toujours imprégné de cette ambiance historique bien particulière, on adore le détester ou on déteste l’adorer, c’est selon l’humeur du moment !
Charles Lloyd a beau être nimbé de sa propre légende et des pages importantes qu’il a fait tourner à l’histoire du jazz, on imagine volontiers que le saxophoniste a ressenti un immense bonheur de voir sa musique dynamitée par un trio haut de gamme : Jason Moran au piano, Reuben Rogers à la contrebasse et Eric Harland à la batterie. Tous les trois ont assuré une bonne partie du spectacle, permettant à Charles Lloyd de servir en toute sérénité sa musique selon le mode introspectif qu’on lui connaît depuis longtemps, au saxophone ténor, à la flûte ou au tarogato. Cet artiste-là est libre, tout comme son jazz qui sait s’affranchir de la mélodie pour glisser vers des échappées plus aventureuses, mais toujours habitées. Le quartet communique peu avec le public, déroulant son histoire presque sans interruption dans une ambiance qui, reconnaissons-le, ne rend peut-être pas justice à son intensité méditative. Lloyd est un géant du jazz qui, de sa démarche hésitante, est venu nous inciter à regarder vers le haut.
Oublions la prestation de Raphael Gualazzi même si la standing ovation par une partie du public a de quoi interroger. Voilà un ersatz plutôt insipide de Paolo Conte dans un mauvais jour et de Jamie Cullum au quotidien, revu et corrigé par un directeur artistique ayant fait ses classes dans la Nouvelle Star : ses gesticulations associées au martèlement frénétique des touches de son piano mettent surtout en évidence la vacuité d’un propos convenu et une désagréable confusion entre énergie et séance de fitness. Quant à son massacre de « Caravan », il restera par ailleurs dans les annales du festival comme l'un des moments les plus terrifiants de cette édition... La conclusion s’impose : je ne suis pas le cœur de cible de ce type de produit marketing. Il faut savoir reconnaître ses propres limites. Tant mieux pour ceux qui aiment, après tout.
Fort heureusement, le cubain Chucho Valdés a redressé la barre d’une soirée qui menaçait de s’étioler en variété estampillée Bisounours au pays du jazz ! Avec ce pianiste bardé de prix et de distinctions, c’est un torrent d’énergie qui s’est déversé, notamment sous les coups de boutoir des trois percussionnistes de ses Afro-Cuban Messengers ; un flot de musique généreuse bien servi également par une paire trompette / saxophone jamais en mal d’inspiration. Valdés est aussi, à sa façon, un percussionniste, quoiqu’on ne saurait le cantonner à ce rôle de dynamiteur de touches qui a fait sa renommée : des incursions très mélodiques, aux confins du jazz et des univers de compositeurs comme Debussy ou Stravinski, ont aussi émaillé son propos, élargissant le spectre musical d’une formation enthousiaste, augmentée de la chanteuse Mayra Caridad Valdés, le temps d’un « Besame Mucho » ondulant et espiègle. L’un des beaux moments du concert aura certainement été « Zawinul’s Mambo », en hommage au créateur du groupe Weather Report, où l’on peut entendre une évocation de « Birdland » ; le groupe enchaînera avec « Stella By Starlight », rendu méconnaissable sous les assauts des fûts. On ressort de cette prestation aux rouages bien huilés tout ragaillardi à l’idée de s’être glissé dans les pas de Chucho, malgré la bruine qui nous rappelle que l’automne vient d’arriver.
Chapiteau de la Pépinière – Mercredi 12 Octobre 2011
En écoute : « Zawinul’s Mambo », extrait de Chucho’s Steps par Chucho Valdés & The Afro-Cuban Messengers.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Un autre moment de grâce ! Le pianiste Manuel Rocheman n’a pas manqué son rendez-vous avec NJP en offrant un répertoire directement issu de The Touch Of Your Lips, Tribute To Bill Evans, disque émouvant et sensible surlignant les qualités solaires de son jeu et son amour de la mélodie. Si le trio (avec Mathias Allamane à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie) diffère légèrement de celui-ci du disque, les qualités de la musique jouée sont à l’évidence intactes : mieux même, la présence de Goubert, très charismatique dans sa gestuelle évoquant son mentor Christian Vander, constitue une force de premier plan et un puissant pôle d’attraction pour ses comparses. Par l’interprétation de ses compositions ou de celles qu’il avait sublimées, Bill Evans est bien sûr l’inspiration de ce concert (« B Minor Waltz », « We Will Meet Again », « The Touch Of Your Lips ») qui met aussi en avant des thèmes originaux (« La Valse des Chipirons », « For Sandra » ou « Rhythm Changes »). Le rappel rendra hommage à un autre immense artiste, lui-même amoureux de la musique de Bill Evans, un certain Michel Petrucciani : « Lookin’ Up ». Ce thème splendide sera la conclusion irradiée du concert, où le trio, dans un équilibre en suspension, frôle la perfection. Sa belle unité a soufflé un doux vent de grâce dans un théâtre flambant neuf à l’acoustique irréprochable ; ses trois individualités, fortes et bien distinctes, ont une fois encore renouvelé un art pourtant éprouvé et malgré tout bien difficile.
Théâtre de la Manufacture – Mardi 11 Octobre 2011
En écoute : « Send In The Clowns », extrait de The Touch Of Your Lips, Tribute to Bill Evans.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Temporairement échappée du Grand Journal de Canal+, la grande messe quotidienne et néanmoins commercialement consensuelle de la chaîne parfois cryptée, China Moses est venue présenter sa passion pour les women in blues, et plus particulièrement pour Dinah Washington à laquelle elle a consacré en 2009 un disque : This One’s For Dinah. Epaulée par un trio très professionnel (Raphaël Lemonnier : piano et arrangements, Fabien Marcoz : contrebasse et Jean-Pierre Derouard : batterie) maîtrisant à la perfection tous les codes d’un exercice d’une facture très classique, la chanteuse a aisément endossé le costume de la meneuse de revue, parsemant son répertoire d’anecdotes à caractère humoristique. Dinah Washington est au centre de l’affaire parmi d’autres chanteuses, que ces dernières l’aient influencée ou qu’elles s’en réclament : Bessie Smith, Esther Phillips ou Mamie Smith par exemple. On feuillette ainsi avec China Moses un album dont les photos un peu jaunies nous persuadent, à tort certainement, que le temps s’est arrêté. Ce spectacle un brin suranné, d’un esprit presque music hall, ne réserve guère de surprises : tout est bien en place, mais les musiciens semblent un peu cachés derrière les stéréotypes qu’ils mettent en scène avec une application qui n’émeut guère. Le public a aimé, reconnaissant probablement ce qu’il avait envie d’entendre. Comme on déguste une friandise dont les saveurs s’évanouissent très vite.
Théâtre de la Manufacture – Mardi 11 Octobre 2011
En écoute : « Fine Fine », extrait de This One’s For Dinah.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.
Elle avait hypnotisé la petite salle de La Fabrique lors de la précédente édition de NJP. Son duo avec le guitariste Ulf Wakenius avait comblé le public, au premier rang desquels de jeunes enfants écarquillaient des yeux ébahis. La voici qui revient, mais en quartet et à l’Opéra ! Une sacrée montée en puissance… En douze mois, Youn Sun Nah est presque devenue une icône. Vincent Peirani à l’accordéon et Simon Tailleu à la contrebasse sont entrés cette année dans la danse lumineuse de la délicieuse coréenne qui paraît toujours aussi étonnée du phénomène d’adhésion qu’elle suscite. Le répertoire, tiré de ses deux derniers disques Voyage et Same Girl (à l’exception de « Avec le temps » chanté lors de l’un des trois rappels) est exactement le même qu’en 2010 : qu’importe, le charme opère instantanément. Seule à la kalimba ou à la boîte à musique, en trio, en duo ou en quartet, la chanteuse met à nu toutes ses émotions, ses joies, ses peines. Parfois, elle murmure, elle crie, avant d’évoquer, les yeux fermés, son pays natal dans un blues coréen. Elle emprunte des thèmes à Randy Newman, Léo Ferré ou Tom Waits ; ses musiciens rivalisent de lyrisme et de dialogues inventifs, parfois cocasses comme sur le splendide « Frevo » d’Egberto Gismondi. Ulk Wakenius, un grand monsieur, multiplie les trouvailles, massacrant au besoin une cannette de boisson gazeuse qui n’en demandait pas tant ; Vincent Peirani s’impose comme un parfait partenaire et sait aussi doubler avec un vrai charisme Youn Sun Nah au chant. Il faudra trois rappels – et un espiègle « Pancake » - pour assouvir la faim d’une salle conquise par une artiste décidément pas comme les autres.
Opéra de Nancy – Lundi 10 Octobre 2011
En écoute : « Pancake », extrait de Same Girl.
Texte préparatoire à un prochain compte-rendu complet pour Citizen Jazz.